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La petite espérance de Péguy

Le petit espoir de Péguy

"Ce qui m'étonne, dit Dieu", c'est l'espoir. Et je ne peux pas le croire. Ce petit espoir qui ne ressemble à rien du tout. Cette petite fille espère. " Extrait du célèbre texte de Charles Péguy.

Ce qui me surprend, dit Dieu, c'est l'espérance. Et je ne peux pas le croire. Ce petit espoir qui ne ressemble à rien du tout. Cette petite fille, espoir, immortelle. Parce que mes trois vertus, dit Dieu. Les trois vertus mes créatures. Mes filles, mes enfants. Sont-ils eux-mêmes comme mes autres créatures. De la race humaine. La foi est une épouse fidèle. La charité est une Mère. Une mère ardente, pleine de coeur. Ou une sœur aînée qui est comme une mère. L'espoir est une petite fille de rien du tout. Qui est venu au monde le jour de Noël l'année dernière. Qui joue encore avec le bonhomme de janvier. Avec ses petits pins allemands couverts et peints de givre. Et avec son bœuf et son âne en bois d'Allemagne. Peint. Et avec sa crèche pleine de paille que les animaux ne mangent pas. Puisqu'ils sont en bois.

C'est pourtant cette petite fille qui va traverser les mondes. Cette petite fille de rien du tout. Elle seule, portant les autres, qui traverseront les mondes d'autrefois. [...] Mais l'espoir n'est pas acquis. L'espoir ne vient pas tout seul. Pour espérer, mon enfant, il faut être très heureux, il faut avoir obtenu, reçu une grande grâce [...] La petite espérance avance entre ses deux sœurs aînées et on ne s'en occupe pas seulement. Sur le chemin du salut, sur le chemin charnel, sur le chemin accidenté du salut, sur le chemin interminable, sur le chemin entre ses deux sœurs, peu d'espoir avance. Entre ses deux sœurs aînées. Celui qui est marié. Et celle qui est mère. Et on ne fait pas attention, le peuple chrétien ne fait attention qu'aux deux grandes sœurs. Le premier et le dernier. Qui sont pressés. Dans le présent. Au moment qui passe. Le peuple chrétien ne voit que les deux grandes sœurs, ne regarde que les deux grandes sœurs. Celui de droite et celui de gauche. Et il voit à peine celui du milieu. Le petit, celui qui va encore à l'école. Et qui marche. Perdue entre les jupes de ses sœurs. Et il croit volontiers que ce sont les deux grands qui tirent le petit par la main. Entre. Entre les deux. Pour lui faire marcher cette route accidentée vers le salut. Les aveugles voient tout le contraire. Que c'est elle au milieu qui entraîne ses grandes sœurs. Et que sans elle ils ne seraient rien. Seulement deux femmes vieillissantes. Deux femmes d'un certain âge, écrasées par la vie. C'est elle, cette petite, qui conduit tout. Parce que la foi ne voit que ce qui est. Et elle voit ce qui sera. La charité n'aime que ce qui est, et elle aime ce qui sera. La foi voit ce qui est. Dans le temps et dans l'éternité. L'espoir voit ce qui sera. Dans le temps et dans l'éternité, pour ainsi dire l'avenir de l'éternité elle-même. La charité aime ce qui est. Dans le temps et dans l'éternité. Dieu et prochain. Comme Faith le voit. Dieu et la création. Mais l'Espérance aime ce qui sera, dans le temps et dans l'éternité, pour ainsi dire dans le futur de l'éternité. L'espoir voit ce qui n'est pas encore et ce qui le sera. Elle aime ce qui n'est pas encore et ce qui le sera. Dans le futur du temps et de l'éternité. Sur le chemin en montée, sablonneux, difficile. Sur la route qui monte. Traînée, suspendue aux bras de ses deux sœurs aînées, Qui ne lui tiennent pas la main, Le petit espoir. Va de l'avant. Et au milieu de ses deux grandes sœurs, elle semble se laisser entraîner. Comme un enfant qui n'aurait pas la force de marcher. Et que nous traînerions sur cette route malgré elle. Et en réalité c'est elle qui fait marcher les deux autres. Et qui les traîne. Et qui fait marcher tout le monde. Et qui les traîne, car on ne travaille jamais que pour les enfants, et les deux grands ne travaillent que pour le petit.Charles Péguy, Le Porche du mystère de la seconde vertu, 1912

Charles Péguy (1873-1914)

La petite espérance de Péguy

"Ce qui m'étonne, dit Dieu, c'est l'espérance. Et je n'en reviens pas. Cette petite espérance qui n'a l'air de rien du tout. Cette petite fille espérance." Extrait du fameux texte de Charles Péguy.

Ce qui m'étonne, dit Dieu, c'est l'espérance. Et je n'en reviens pas. Cette petite espérance qui n'a l'air de rien du tout. Cette petite fille espérance.Immortelle. Car mes trois vertus, dit Dieu. Les trois vertus mes créatures. Mes filles mes enfants. Sont elles-mêmes comme mes autres créatures. De la course des hommes. La Foi est une Épouse fidèle. La Charité est une Mère. Une mère ardente, pleine de cœur. Ou une sœur aînée qui est comme une mère. L'Espérance est une petite fille de rien du tout. Qui est lieu au monde le jour de Noël de l'année dernière. Qui joue encore avec le bonhomme Janvier. Avec ses petits sapins en bois d'Allemagne couverts de givre peint. Et avec son bœuf et son âne en bois d'Allemagne. Peintres. Et avec sa crèche pleine de paille que les bêtes ne mangent pas. Puisqu'elles sont en bois.

C'est cette petite fille pourtant qui traversera les mondes. Cette petite fille de rien du tout.Elle seule, portant les autres, qui traversera les mondes révolutionnaires.[...]Mais l'espérance ne va pas de soi. L'espérance ne va pas toute seule. Pour espérer, mon enfant, il faut être bien heureux, il faut avoir obtenu,reçu une grande grâce.[...] La petite espérance s'avance entre ses deux grandes sœurs et on ne prend pas garde à elle. Sur le chemin du salut, sur le chemin charnel, sur le chemin raboteux du salut, sur la route interminable, sur la route entre ses deux sœurs la petite espérance S'avance. Entre ses deux grandes sœurs. Celle qui est mariée. Et celle qui est mère. Et l'on n'a d'attention, le peuple chrétien n'a d'attention que pour les deux grandes sœurs. La première et la dernière. Qui vont au plus pressé. Au temps présent. À l'instant momentané qui passe. Le peuple chrétien ne voit que les deux grandes sœurs, n'a de regard que pour les deux grandes sœurs. Celle qui est à droite et celle qui est à gauche. Et il ne voit pratiquement pas celle qui est au milieu. La petite, celle qui va encore à l'école. Et qui marche. Perdue entre les jupes de ses sœurs. Et il croit que ce sont les deux grandes qui traînent la petite par la main. Au milieu. Entre les deux. Pour lui faire faire ce chemin raboteux du salut. Les aveugles qui ne voient pas au contraire. Que c'est elle au milieu qui entraîne ses grandes sœurs. Et que sans elle elles n'auraient rien. Que deux femmes déjà âgées. Deux femmes d'un certain âge.Fripées par la vie. C'est elle, cette petite, qui entraîne tout. Car la Foi ne voit que ce qui est. Et elle elle voit ce qui sera. La Charité n'aime que ce qui est.Et elle elle aime ce qui sera. La Foi voit ce qui est. Dans le Temps et dans l'Éternité. L'Espérance voit ce qui sera. Dans le temps et dans l'éternité.Pour ainsi dire le futur de l'éternité même. La Charité aime ce qui est. Dans le Temps et dans l'Éternité. Dieu et le prochain. Comme la Foi voit. Dieu et la création. Mais l'Espérance aime ce qui sera.Dans le temps et dans l'éternité.Pour ainsi dire dans le futur de l'éternité. L'Espérance voit ce qui n'est pas encore et qui sera. Elle aime ce qui n'est pas encore et qui sera. Dans le futur du temps et de l'éternité. Sur le chemin montant, sabloneux, malaisé. Sur la route montante. Traînée, pendue aux bras de ses deux grandes sœurs, Qui la tient pas la main, La petite espérance. S'avance. Et au milieu entre ses deux grandes sœurs elle à l'air de se laisser traîner. Comme un enfant qui n'aurait pas la force de marcher. Et qu'on traînerait sur cette route malgré elle. Et en réalité c'est elle qui fait marcher les deux autres. Et qui les traîne. Et qui fait marcher tout le monde. Et qui le traîne.Car on ne travaille jamais que pour les enfants.Et les deux grandes ne marchent que pour la petite.Charles Péguy, Le Porche du mystère de la deuxième vertu, 1912

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